jeudi 23 septembre 2021

Réinventer Arte autour du numérique

 

Si l’on avait d’emblée bâti l’Europe sur la culture plutôt que sur le marché commun et l’économie, Creactiweb la plupart des observateurs estiment qu’elle serait sans doute aujourd’hui moins chancelante et plus consensuelle. Imaginée dès 1988, telle une utopie, pour consolider les liens entre l’Allemagne d’Helmut Kohl et la France de François Mitterrand alors « locomotives » des 12, la chaîne de télévision Arte apparaît, aujourd’hui, plus sereine et dynamique que l’Union élargie des 28 rongée par le doute et affaiblie par ses divisions. Plus d’un quart de siècle après le lancement de la chaîne, en 1992, sa vocation de refléter la richesse et la diversité culturelles en Europe est toujours aussi forte à l’heure du numérique. Le siège de la Centrale GEIE (groupement européen d’intérêt économique), aux lignes futuristes, est installé à Strasbourg, à deux pas du Parlement européen et de la frontière sur le Rhin. Il a été conçu par deux architectes, l’un français, Paul Maechel, l’autre allemand, Hans Struhk. Quelque 450 personnes y travaillent, dans des studios ou des salles de réunions portant les noms de Lisboa, Salzburg, Sevilla ou Warszawa, tandis que deux pôles, Arte France, à Issy-les-Moulineaux, et Arte Deutschland TV GmbH, fournissent chacun 40 % des programmes diffusés par la chaîne, et financent respectivement, à hauteur de 50 %, la Centrale. « En Allemagne, notre budget est voté pour quatre ans, et en France pour un an, cela nous donne une certaine visibilité sur nos recettes », reconnaît Emmanuel Suard, responsable budgétaire de la chaîne.

Fidèle à sa mission culturelle
Mais, au-delà des symboles et des chiffres, c’est surtout le fonctionnement au quotidien de cette chaîne atypique, et la diversité de sa production qui retiennent l’attention. Sans publicité, financée par la contribution à l’audiovisuel public prélevée en France et en Allemagne, Arte se veut fidèle à sa mission culturelle. Elle diffuse sur son antenne 40 % de documentaires et retransmet plus de 900 spectacles (concerts, opéras, ballets, théâtre…) par an, mais s’efforce également d’élargir son audience grâce au numérique qui séduit notamment un public plus jeune.

«Les approches différentes entre journalistes français et allemands pimentent notre travail.»
« Nous sommes en pleine mutation, les lignes bougent… Je suis entré chez Arte il y a vingt-cinq ans et maintenant, grâce au web, on propose de nombreux concerts de pop. Il y a des groupes que je ne connaissais pas et que j’ai découverts ainsi », assure, enthousiaste, Pierre Salesse, 50 ans, chef d’antenne, tout en surveillant sa multitude d’écrans à la régie finale. « Nous diffusons 24 heures sur 24, mais à la régie nous n’avons besoin d’une présence humaine que de 7 h 30 à 2 h du matin le lendemain, le reste du temps tout est automatique. » Dans un bureau baigné cette fois de la lumière du jour et décoré, notamment, d’une carte pour écoliers intitulée L’Europe de 1945 à nos jours – où l’Allemagne est encore divisée en RFA et RDA –, nous avons rencontré la jeune équipe d’« Arte Europe », surnommée par les collègues de la chaîne « l’auberge espagnole ». Subventionnée à 60 % par les institutions européennes – qui y voient un laboratoire pour de futurs développements –, et à 40 % par Arte GEIE, cette structure a pour mission de rendre les programmes – hormis le journal, les fictions et le cinéma – accessibles dans les principales langues de l’Union. Sous la responsabilité de la Française Amélie Leenhardt, l’Espagnole Raquel, la Polonaise Berenika, l’Italien Nicola, le Britannique Alexander et le Français Jean-Augustin travaillent dans la bonne humeur pour produire 400 heures de sous-titres par langue, et par an. Ce service multilingue bénéficie de nombreux partenariats, comme à Vienne ou à Barcelone pour l’opéra, et permet, par exemple, de télécharger des vidéos sur tablette dans la langue de son choix. Cette nouvelle offre témoignant de la vivacité de la chaîne a été présentée avec éclat à Rome dans les cadres somptueux de la villa Médicis et de la villa Farnèse. Traduire, mais aussi concilier les habitudes et les spécificités culturelles de l’Allemagne et de la France fait partie de la feuille de route d’Arte. Par exemple, les Allemands s’intéresseront davantage aux sujets relatifs à l’Europe de l’Est, tandis que les Français préféreront ceux qui traitent de l’Afrique. Ces derniers regarderont le journal télévisé à 19 h 45 et les téléspectateurs allemands, à 19 h 20. « Les approches et les sensibilités différentes entre nos journalistes français et allemands pimentent notre travail, mais il faut garder à l’esprit que nous ne sommes ni la voix de l’Europe, ni celle de la France, ni celle de l’Allemagne. Les “gilets jaunes” c’est important en France, mais nous n’ouvrons pas obligatoirement l’édition dessus », insiste Carolin Ollivier, rédactrice en chef de l’information qui pilote une équipe binationale composée d’une quarantaine de journalistes en fixe, et autant de pigistes. Autre illustration de ces spécificités toujours à l’esprit des responsables d’Arte : pour ne pas effaroucher les téléspectateurs allemands, on prendra soin de doubler, dans une émission consacrée au cheikh Zayed, la voix du vibrionnant Frédéric Mitterrand par un commentaire plus posé…

Se réinventer pour séduire
Pour séduire un public plus large, Arte a lancé notamment, il y a sept ans, un magazine quotidien d’actualité, conçu autour d’un débat au ton enjoué, intitulé « 28’ » (28 minutes) et dirigé avec brio par Elisabeth Quin. Son émisssion remporte un franc succès. Elisabeth Quin confie à The Good Life : «Il y a quinze ou vingt ans, cette chaîne était perçue comme élitiste ou austère, mais les gens ont réalisé en la regardant qu’il y avait de l’humour, une ouverture sur le monde, bref qu’elle était tumultueuse, spirituelle et intelligente. Les spectateurs ont compris que l’intelligence n’était pas l’apanage de l’élite. Et j’ai le sentiment de travailler dans un lieu qui est une sorte de sanctuaire. » Des programmes courts et atypiques ont aussi été conçus, telle cette série de vulgarisation scientifique, de style BD, intitulée « Tu mourras moins bête », où sont exposées, par exemple, les découvertes en matière d’immunologie ou la façon de lutter contre la peur en avion. De même, pour des thématiques originales, comme « Winter of Moon », pour laquelle, en janvier 2019, ont été programmés des films comme Appolo 13 et Le Voyage dans la Lune, des documentaires, etc. La diffusion de grands classiques du cinéma reste évidemment une valeur sûre : en décembre dernier, La Mort aux trousses, d’Alfred Hitchcock, a fait un malheur : trois millions de téléspectateurs ! Mais Arte mise également, notamment par le biais de l’émission « Thema », sur les documentaires historiques, et en particulier sur ceux concernant la montée du nazisme, la Seconde Guerre mondiale et l’Holocauste. Se tourner vers le passé n’est pourtant pas le genre de Dominique Willième, directeur de la stratégie numérique. « Le développement numérique est plus qu’un défi, c’est une évidence, insiste-t-il. Il nous permettra de sortir d’un certain élitisme et d’être une chaîne généraliste, une chaîne de curiosité qui sait surprendre…Vous savez, on diffuse le Festival de heavy metal ! On est obligé de se réinventer tous les trois ou six mois. » Et qu’on ne vienne pas tenter de l’effaroucher en parlant de la concurrence Netflix, plate-forme à laquelle il est d’ailleurs abonné. « Le volume de contenus n’est pas tout. Contrairement à Netflix, nous avons une ligne éditoriale. Depuis plus de vingt-cinq ans, nous remplissons notre mission de chaîne de télévision, qui est d’acheter de bons programmes, de les diffuser au bon moment, et cela, ça ne changera jamais. »

dimanche 5 septembre 2021

Séparez les penseurs des faiseurs

 L'une des caractéristiques de la Founder's Mentality℠ est l'obsession de l'équipe de direction pour la première ligne. La stratégie est l'exécution Lors de récentes discussions avec des fondateurs d'entreprise à Istanbul et à São Paulo, j'ai essayé de comprendre plus en détail comment ils maintiennent l'accent de leur organisation sur l'exécution. Une chose est très claire : ces dirigeants sont impitoyables lorsqu'il s'agit de faire la distinction entre les penseurs « et les faiseurs » dans leurs organisations, et ils sont absolument clairs sur le fait que les faiseurs sont les héros de leurs organisations.
Dans les grandes entreprises multinationales, cette notion de faiseurs contre penseurs va à contre-courant. Cela semble diviser. Cela va à l'encontre de tout ce que nous essayons d'enseigner sur le développement professionnel. L'objectif du développement professionnel n'est-il pas de donner à chaque employé la possibilité de progresser dans l'organisation, de la prise d'ordres (faire) à la commande (penser) ? Comme c'est insultant, selon l'argument, d'étiqueter quelqu'un comme un faiseur. Cela sent l'élitisme et semble terriblement déresponsabilisant. Je comprends, c'était ma première réaction.
Mais cette réaction révèle un préjugé implicite. Un PDG d'une entreprise pétrochimique à São Paulo a expliqué : La seule raison pour laquelle nous sommes réticents à étiqueter les gens qui font ou pensent, c'est parce que nous supposons immédiatement que nous insultons les faiseurs. Dans la plupart des entreprises, il existe une hiérarchie implicite ; les penseurs se tiennent au-dessus des faiseurs. Mais dans mon entreprise, les faiseurs sont les héros de l'entreprise Ils vendent le produit et rapportent l'argent qui fournit les salaires des penseurs, qui ne vendent rien. Il y a un horrible paternalisme dans la théorie moderne des affaires : nous avons décidé que la pensée est une activité supérieure et nous ne devrions pas consacrer beaucoup d'attention à ceux à qui l'on demande simplement d'exécuter. C'est honteux. »
J'ai entendu une protestation similaire à quelque 10 000 kilomètres au nord-est, d'un PDG d'une grande entreprise de biens de consommation à Istanbul. Mes vendeurs sont les héros de mon entreprise », a-t-il déclaré. Et je veux qu'ils vendent toute la journée, surpassant la concurrence, mettant nos produits sur les bonnes étagères à la bonne largeur et à la bonne hauteur. Je leur ai répété à maintes reprises qu'ils ne sont pas le cerveau de l'entreprise, mais qu'ils sont les bras, les jambes, les oreilles et les yeux.
Il a ensuite donné un exemple. Tous les vendeurs ont des iPhones. Lorsqu'ils voient une nouvelle activité concurrentielle ou quelque chose d'intéressant en magasin qui les inquiète ou présente une opportunité, ils prennent une photo, écrivent quelques lignes sur le problème et les envoient aux chefs des ventes et du marketing commercial. Ensuite, ils retournent à la vente et à l'exécution d'initiatives de vente clés. Le quartier général reçoit environ 150 photos par semaine, a-t-il déclaré. Environ 10 % d'entre eux sont suffisamment importants pour nous forcer à nous lancer dans de nouvelles activités commerciales majeures. Nos spécialistes du marketing commercial décident de ce qu'ils sont et donnent de nouvelles initiatives à notre équipe de vente. Chaque mois, nous décernons un prix pour la meilleure nouvelle initiative commerciale. Qui obtient le prix ? Le gars qui a envoyé la photo qui a déclenché la nouvelle initiative. Et c'est un bon !
C'est la différence », a-t-il poursuivi. Les vendeurs exécutent, et ils sont les héros, pas les frais généraux de l'entreprise, qui trie la prochaine initiative.
Cette notion crée toutes sortes de problèmes pour les grandes entreprises bureaucratiques. D'abord, comment expliquent-ils aux penseurs qu'ils sont là pour soutenir la ligne de front ? Mais en fait, c'est exactement ce qui doit arriver pour recentrer l'entreprise sur la première ligne. Deuxièmement, cela crée des problèmes de succession. Les faiseurs sont censés s'élever et devenir des penseurs. Mais l'objectif principal du recrutement d'acteurs est d'attirer des acteurs exceptionnels, et non de remplir le pipeline de carrière des futurs penseurs. Comme l'a dit le PDG d'Istanbul, si vous voulez concentrer les gens sur l'exécution, recrutez des gens qui aiment exécuter. Ne recrutez pas des gens qui pensent que cette exécution est quelque chose qu'ils doivent subir jusqu'à ce qu'ils soient promus.
Ce principe bouleverse certaines choses, mais il crée également d'énormes opportunités. Permettez-moi de vous donner un exemple : je parlais au responsable Afrique d'une grande entreprise multinationale, et son plus gros problème était de recruter suffisamment de talents pour suivre la croissance des revenus. faire des acteurs les héros de l'entreprise), je pouvais voir ses yeux s'illuminer.
Cela fait partie du problème que nous avons », a-t-il déclaré. Nous ne valorisons pas les faiseurs. Nous pensons que nous devons recruter des penseurs et leur donner un sort en tant que faiseurs. Mais nous tombons droit dans le piège, n'est-ce pas ? Si nous appréciions vraiment les acteurs de notre entreprise, nous nous rendrions compte que nous avons une énorme opportunité en Afrique. Nous pouvons offrir des opportunités à beaucoup plus de personnes. En fin de compte, nous voulons des gens prêts à travailler, prêts à vendre, prêts à améliorer leur vie et celle de leur famille en sortant chaque jour pour travailler honnêtement.
C'est peut-être pour cette raison que trois fondateurs distincts m'ont dit que l'une des questions qu'ils posent lors des entretiens avec les vendeurs est : devez-vous soutenir vos parents ? » Pourquoi poser cette question ? Un fondateur m'a dit ceci : une réponse « oui » me dit trois choses. Premièrement, ce sont des gens honnêtes avec les bonnes valeurs. Ils s'occupent de leurs parents. Deuxièmement, cela me dit qu'ils sont prêts à travailler dur ; ils ont des obligations étendues au-delà de leurs propres préoccupations pour l'argent de poche. Et troisièmement, cela me dit qu'ils sont déterminés à améliorer leur sort dans la vie. Ils sont probablement issus de familles pauvres et travaillent maintenant pour une entreprise de premier plan. Ils feront tout pour réussir. Compte tenu de tout cela, a conclu le fondateur, pourquoi cette personne ne serait-elle pas le héros de mon entreprise ? »
Pourtant, tout le monde n'est pas d'accord avec cette idée des « faiteurs » par rapport aux « penseurs ». Un PDG avec qui j'ai parlé à New York s'est d'abord opposé à l'idée, mais a ensuite modifié sa critique avec la mise en garde suivante : Je pense que la séparation des faiseurs et des penseurs est une question de timing. Lorsque nous planifions, je veux que toute l'organisation participe et soit créative. Je veux que les commerciaux soient dans la salle et je veux qu'ils proposent de vrais défis. Je veux leur cerveau, pas seulement leurs bras et leurs jambes. Mais lorsque nous décidons ensuite d'exécuter, je veux que tout le monde se concentre sur une exécution impitoyable. »
C'est un bon point. Notez, cependant, qu'il sépare toujours les penseurs et les faiseurs. Demander aux commerciaux de défier les penseurs lors d'une séance de planification ne brouille pas la ligne, cela la renforce. En fait, ce n'est pas si différent du fait que les commerciaux d'Istanbul décident que quelque chose est suffisamment inquiétant (ou qu'il y a suffisamment d'opportunité) pour le photographier et l'envoyer au siège.
Les faiseurs peuvent penser, après tout. Ce n'est tout simplement pas le moyen le plus précieux pour eux de passer leur temps.