mercredi 11 octobre 2017

L’identité des « groupes de pairs »

L’identité de certaines fractions des jeunes des quartiers populaires se construit par rapport aux « pairs ». De quel mode de regroupement s’agit-il ? Le phénomène des « bandes » tel qu’il existait dans les années 1960-1970 n’est plus tout à fait d’actualité. Les jeunes des quartiers font aujourd’hui l’expérience de la précarité. Dans ce contexte d’instabilité, la formation de bandes structurées n’est plus à l’ordre du jour. Les regroupements des jeunes sont la plupart du temps éphémères et fluides. Ils se font et se défont. Ce sont des groupes informels, des bandes de copains, ayant le plus souvent des trajectoires similaires concernant les difficultés scolaires. On constate en effet que le capital scolaire détenu est déterminant dans la distribution des « jeunes des cités » par rapport aux espaces des styles de vie « conformes » et « déviants » (Mauger et Ikachamene, 2003). La disqualification scolaire, en générant un sentiment d’indignité particulièrement fort, accroît les probabilités de rechercher des formes de reconnaissance alternatives, notamment auprès du groupe de pairs. Le groupe rassemble de la sorte ceux qui partagent les mêmes stigmates sociaux, culturels ou professionnels, et protège des rappels à l’ordre des diverses institutions (école, missions locales, etc.), des autres adolescents (ceux qui ont un travail, ou qui réussissent scolairement) ou des jeunes filles (que la scolarisation prolongée rend plus sensibles à la séduction qu’exerce la détention de capital culturel et/ou de capital économique). S’y bricole une identité faite de valeurs et de normes communes (musicales, vestimentaires, linguistiques, culturelles) qui valorise les solidarités locales (plus que communautaires) autour du quartier, voire même de la cage d’escalier. Ces sociabilités mouvantes sont celles de la « glande » (« tenir les murs »), de l’ennui (omniprésent dans les chansons de rap), des anecdotes cent fois racontées, déformées et amplifiées, des rumeurs, mais aussi celui d’une conscience de l’injustice nourrie par le racisme, les contrôles policiers à répétition, l’humiliation des pères. Elles sont également celles d’un monde de la débrouille quotidienne, fait de contrats d’intérim (essentiellement dans les secteurs du bâtiment, de la manutention et de la sécurité), de travail au noir et de « bizness » (terme suffisamment flou pour caractériser un ensemble d’actions qui vont de l’échange non marchand de biens contre services au recel ou au petit deal ), qui leur interdit toute rationalisation des conduites en référence à une fin future et les enferme dans la fascination de l’immédiat.